L’intox du Sénat sur l’aide médicale d’État French

L’intox du Sénat sur l’aide médicale d’État

Le Sénat vient d’adopter la suppression de l’aide médicale d’État, qu’il veut remplacer par une aide médicale d’urgence. La lecture biaisée des chiffres par les élus de la chambre haute néglige les vertus économiques de ce dispositif.

Caroline Coq-Chodorge , 7 novembre 2023 à 21h11

Les sénateurs et sénatrices, à l’initiative du groupe Les Républicains (LR), ont voté, mardi 7 novembre, la suppression de l’aide médicale d’État (AME), introduite par amendement au projet de loi immigration.

Ils veulent en effet remplacer l’AME, qui ouvre le droit à une prise en charge assez large des soins pour les personnes en situation irrégulière, par une aide médicale d’urgence. Ne seraient alors prises en charge que les « maladies graves » et « douleurs aiguës », les grossesses et les actes de prévention, dont les vaccinations.

Au sein du gouvernement, la proposition divise. Le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin, qui porte le projet de loi immigration, s’est déclaré, dans les colonnes du https://www.leparisien.fr/politique/gerald-darmanin-face-a-nos-lecteurs-jai-envie-de-servir-mon-pays-07-10-2023-7J5H5OTEAJAN5JFACZSLNWMFOA.php?ts=1699368502698, favorable « à titre personnel » à la suppression de l’aide médicale d’État. Celle-ci est au contraire défendue par le porte-parole du gouvernement et ancien ministre de la santé Olivier Véran, qui a affiché un « vrai désaccord » sur le sujet avec le ministre de l’intérieur.

L’actuel ministre de la santé Aurélien Rousseau a lui aussi défendu devant les sénatrices et sénateurs « un dispositif indispensable, un dispositif de santé publique ». La première ministre, Élisabeth Borne, a elle aussi pris position lundi 6 novembre, sur France Inter : elle n’est « pas favorable à une suppression de l’AME ».

Le projet de loi immigration sera examiné en décembre par l’Assemblée nationale, où le parti Les Républicains est très minoritaire. Mais le risque est grand qu’une nouvelle fois l’accès à l’aide médicale d’État soit encore limité, victime des accords politiques que la majorité présidentielle tente de nouer avec la droite et l’extrême droite.

Depuis cent quarante ans, l’aide médicale d’État résiste aux assauts démagogiques et xénophobes : la France s’est en effet dotée dès 1893 d’une aide médicale gratuite, alors accessible à tous les malades privés de ressources, indépendamment de leur statut sur le territoire. Ce droit repose sur une série d’arguments. Le premier est la santé publique : une population privée d’accès aux soins peut développer des maladies transmissibles. Le deuxième tient à la déontologie médicale : un médecin « doit apporter son concours en toutes circonstances ». Le troisième argument est économique : un accès aux soins précoce permet d’éviter des prises en charge en urgence très coûteuses.

L’argument économique, en faveur d’un large accès à l’AME, est manipulé par des sénateurs et sénatrices qui n’hésitent pas à exagérer son coût : ils communiquent en effet sur la progression de la dotation en loi de finances : + 12,4 % (+ 133 millions d’euros) en 2023. Or, depuis plusieurs années, le budget voté est largement sous-exécuté : en 2022, par exemple, un milliard d’euros a été budgété, mais seulement 944 millions d’euros ont été réellement dépensés.

Moins de 0,5 % des dépenses d’assurance-maladie

Rapportées aux dépenses d’assurance-maladie – 242 milliards d’euros en 2022 –, les dépenses de l’AME sont négligeables : moins de 0,5 %.

Et elles progressent bien moins vite que les dépenses d’assurance-maladie, malgré la hausse de nombre de bénéficiaires de l’AME (403 000 en 2022, contre 318 000 en 2018, en hausse de 26 %).

Il existe par ailleurs de très nombreux freins à l’accès à ce droit, comme le détaille une enquête de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) : en 2019, ses chercheurs et chercheuses ont interrogé plus de mille personnes en situation irrégulière. Or, « près de la moitié des personnes sans titre de séjour déclarant souffrir de pathologies nécessitant des soins, comme le diabète ou les maladies infectieuses, ne sont dans les faits pas assurées pour la santé, ni par l’AME, ni par l’assurance-maladie de droit commun ».

Ce taux de non-recours a dû certainement augmenter depuis le 1er janvier 2021, date de l’entrée en application d’une nouvelle réforme de l’AME : les critères de résidence sur le territoire français, depuis au moins trois mois, ont été durcis. Mais surtout, les démarches administratives ont été compliquées : les demandeurs et demandeuses de l’AME doivent désormais déposer leurs dossiers et retirer leurs cartes en mains propres, dans les Caisses primaires d’assurance-maladie (CPAM)… qui ont largement fermé leurs portes dans le processus de dématérialisation.

Un labyrinthe administratif

Cinq associations – le Comité pour la santé des exilé·es (Comede), la Cimade, Médecins du monde, le Secours catholique – ont également enquêté sur les conséquences de la réforme de la 2019, notamment le service rendu par l’assurance-maladie. Le 3646 – le numéro d’accueil de l’assurance-maladie – donne des informations partielles ou erronées aux demandeurs et demandeuses.

Dans certains départements, quelques agences seulement prennent les demandes d’AME : elles ne sont que deux sur douze à Paris, et il n’y en a qu’une en Seine-Saint-Denis. Début janvier, les délais d’attente pour un rendez-vous étaient en moyenne de dix jours, et jusqu’à vingt-quatre jours dans le Val-d’Oise. Les associations ont interrogé les demandeurs et demandeuses de l’AME sortant de l’agence dédiée en Seine-Saint-Denis : quand ils se présentent au rendez-vous, plus de la moitié se voient refuser leur dossier, en raison de pièces manquantes ou parce que l’accès à l’agence leur a été refusé.

Et un tiers des personnes qui ont obtenu un droit à l’AME n’ont en réalité pas pu le faire valoir : personne ne leur a indiqué qu’elles devaient se déplacer une fois encore en agence pour retirer leur carte. Pour les associations, les exilé·es en demande de soins sont ainsi pris·es au piège dans « un labyrinthe sans fin ».

L’exemple catastrophique de la dialyse

Toutes ces embûches dans l’accès aux soins, un droit pourtant fondamental, peuvent avoir des conséquences catastrophiques pour les malades, comme pour les finances de l’État et de l’assurance-maladie. La dialyse et la transplantation rénale sont des exemples parfaits. La dialyse est souvent montrée du doigt par les détracteurs de l’AME. La vie des patientes et patients insuffisants rénaux chroniques terminaux dépend de ce traitement de suppléance rénale, qui est très couteux, parce que les dialyses sont pratiquées plusieurs fois par semaine, parfois à vie.

Sans dialyse, le pronostic vital des patient·es peut être engagé et justifier une prise en charge en soins intensifs neurologiques ou en réanimation, dont le coût pour l’assurance-maladie est de 2 932 et 4 268 euros par jour. Le coût d’une dialyse en unité de dialyse, habituellement réalisée trois fois par semaine, est autour de 300 euros. « Selon une étude américaine, l’accès aux soins sur critères d’urgence pour les malades du rein occasionne un surcoût de 5 066 dollars par patient et par mois. Et la mortalité de ces patients est multipliée par cinq à un an et par quatorze à cinq ans », explique le docteur Cédric Rafat, néphrologue à l’hôpital Tenon à Paris (XXe arrondissement).

Place trop limitée de la greffe

Sa consœur Alice Doreille, également néphrologue à Tenon, précise qu’en France, les personnes en situation irrégulière sans AME sont prises en charge « principalement à l’hôpital public. Les services de dialyse publics sont des centres dits lourds, normalement dédiés aux patients les plus comorbides. Ces centres déjà surchargés se retrouvent parfois en difficulté pour programmer ces patients en attendant l’AME et un transfert en unité de dialyse externe », généralement dans le privé*.*

Par ailleurs, ces étrangers et étrangères sans droits dépendent aussi du bon vouloir des services. Les docteurs Rafat et Doreille sont les coauteurs d’une étude française sur l’accès à la dialyse pour les personnes en situation irrégulière, sans AME. Ils ont interrogé vingt centres de néphrologie en France : si 65 % prennent en charge ces patient·es sans restrictions, 25 % ne les programment que s’ils estiment que si l’accès à la dialyse dans leur pays d’origine est jugé difficile ou sur critères d’urgence, et 10 % ne les prennent en charge qu’en urgence, « par exemple en cas d’excès de potassium, qui engage le pronostic vital, ou de concentration trop importante d’urée dans le sang », précise la docteure Doreille.

Tous deux sont signataires de la tribune dans https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/l-appel-de-3-000-soignants-nous-demandons-le-maintien-de-l-aide-medicale-d-etat-pour-la-prise-en-charge-des-soins-des-personnes-etrangeres_6197818_3232.html des trois mille soignant·es qui plaident pour le maintien de l’AME.

Pour Yvanie Caillé, porte-parole de l’association de malades du rein Renaloo, il est « légitime de s’inquiéter des coûts de certains traitements et des enjeux de soutenabilité pour le système de santé. Mais les étrangers sont une diversion ». Renaloo dénonce en effet, de longue date, les dérives de la prise en charge des maladies rénales en France, centrée de façon excessive sur la dialyse, et la place trop limitée de la greffe, plus efficace et bien moins coûteuse.

Pour Renaloo, en raison des modalités actuelles de financement de la dialyse, certaines structures, pour augmenter leur rentabilité, ont tout intérêt à ne pas favoriser l’accès à la greffe de leurs patient·es dialysé·es, en retardant leur inscription sur la liste nationale d’attente. « On ferait mieux de s’intéresser aux rentes de situation au détriment de la qualité des soins dans le système de santé, plutôt que de s’attaquer à l’aide médicale d’État, qui porte des valeurs de notre système de santé dont on peut être fier. »

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